Texte & Photos : Ninka North
Le Parlement européen a reconnu l’écocide1https://www.cairn.info/revue-projet-2016-4-page-70.htm dans le droit européen, le 29 mars 2023, avec la définition suivante :
Tout comportement causant des dommages graves et étendus,
à long terme ou irréversibles.
Le Canada, quant à lui, ne s’est malheureusement prononcé sur cette question. Dans un pays29,985 millions km² aux ressources naturelles colossales, parmi lesquelles l’eau douce,3563 lacs les forêts primaires416 % à l’échelle mondiale et la biodiversité qu’elles abritent, on peut s’attendre à ce que celles-ci soient protégées de l’avidité de lobbies industriels, et ce pour le bien de l’humanité toute entière.
Il n’en est rien.
Mines, parcs à résidus d’extractions minière et stériles se multiplient, et la déforestation croît à un rythme effréné sur fond d’instabilité climatique. Les communautés autochtones sont la proie de ces compagnies, celles-là même citées dans les médias comme acteurs de la « transition verte » et du « développement durable ».
En allant vers le Nord, on découvre avec stupeur l’impact de ces activités en découvrant que les rangées de conifères qu’on croise ne sont qu’une pâle muraille protégeant les bordures de lacs et de route. Derrière ces trompe-l’œil, il n’y a plus de forêt, mais une terre ravagée par des coupe à blanc, flanquée de bosses et de trous dont émergent des racines pourries…
Des « Facilitateurs pour la déforestation » sont envoyés en cas de lenteur des négociations5Chez les Atikamekw notamment, et des « Gardiens du territoire » mandatés par les minières et les conseils de bande sillonnent le territoire, mandatés par les minières et les conseils de bande.
En 2022, la majorité des Québécois estimait que l’industrie minière occasionnait des impacts négatifs importants sur l’environnement. L’actualité n’a fait que conforter ce fait en 2023, avec les incendies d’envergure majeure qui ont dévasté la forêt boréale et d’autres forêts primaires indispensables au climat par leur capacité à stocker le carbone.
Ces évènements révèlent la grande vulnérabilité des écosystèmes en cette période de changement climatique, et l’extrême urgence à freiner l’exploitation massive de ces territoires.
À l’heure actuelle, 21 mines sont opérationnelles au Québec, et 5 en maintenance sur son territoire6https://www.magazinermi.ca/mines-et-projets-miniers-au-quebec-3.
La majorité de ces mines (20 sur les 22 répertoriées en 2022) appartient à des groupes étrangers.
En février 2023, 281 243 claims miniers actifs étaient inscrits au registre GESTIM. Un chiffre auquel il faut ajouter quelques 2000 ha de sites miniers abandonnés, dont plus de la moitié ne sont pas décontaminés, ainsi que des parcs à résidus miniers acidogènes, minéraux générant des acidessous l’effet d’une bactérie : thiobacillus ferro-oxidans.
L’efficacité à long terme des techniques de restauration de ces parcs n’est d’ailleurs pas assurée.
Ces exploitations sont également montrées du doigt au regard de l’impact négatif qu’elles génèrent sur les populations autochtones : un nombre alarmant de femmes des réserves du nord, portées disparues, livrées à la prostitution ou assassinées dans les villes à proximité des chantiers.
Lire Emmanuelle Walter, auteure du livre « Sœurs volées. Enquête sur un féminicide au Canada » et l’article de Pascale Millot7https://gazettedesfemmes.ca/12498/traite-des-femmes-autochtones-au-canada-un-phenomene-occulte…
Il y a du cynisme en ce monde…
L’histoire se répète… La colonisation telle une machine infernale bien huilée se poursuit.
On n’offre plus de perles de cristal aux populations autochtones, mais des traités qui brûleront la terre et empoisonneront l’eau. Et l’on frappe le tambour traditionnel pour signer des ententes avec des géants de l’économie industrielle; un sacrilège, car pour qui connaît les traditions autochtones, le tambour fait résonner les pulsations cardiaques de notre Mère, la Terre…
Les peuples autochtones sont détenteurs des ressources minières ou forestières des territoires qu’ils occupent depuis des millénaires. Si leur souveraineté et leur prospérité doivent être encouragées, il est de droit de s’interroger sur l’autonomie de décision qu’ils ont réellement face aux enjeux économiques d’un pays et de think tanks sponsorisés par les acteurs du déni climatique. Et ce d’autant que la gouvernance autochtone (conseils de bandes) a été établie par la colonisation…
Face aux enjeux du Plan Nord, les actions se succèdent à toute vitesse et « toutes les ficelles sont utilisées » pour permettre le développement.
À la manière d’une fourmilière, les coupes à blanc saccagent méthodiquement les forêts, tandis que projets hydroélectriques et miniers poursuivent leur extension titanesque sur des territoires vierges. La course à l’extraction des métaux rares pour les « énergies vertes » – un slogan erroné à la mode – met la planète en danger et plus particulièrement les derniers territoires vierges8https://www.lemonde.fr/planete/article/2024/05/09/extraire-des-metaux-sans-detruire-la-planete-l-autre-immense-defi-de-la-lutte-contre-le-rechauffement-climatique_6232303_3244.html.
Des prospecteurs de « claims » et des anthropologues sont déployés sur le terrain afin de faciliter les démarches auprès des communautés autochtones. Du mécénat d’actions sociales et d’évènements culturels est organisé sous la houlette des firmes.
Dernièrement, Petapan9https://petapan.ca/page/presentation-de-entente-de-principe-ordre-general-epog, un regroupement des communautés innuesConseils de bande de Mashteuiatsh, Essipit et Nutashkuan supporté par le G15, a suscité de vives réactions. Car si ce traité avec le gouvernement du Québec10avec des retombées de plus d’un milliard de dollars vise à instaurer une autonomie…
gouvernementale innue incluant le respect des droits et titres ancestraux, il implique également la perte de plusieurs droits ancestraux, ce qui pour ces peuples initialement nomades représente un non-sens. Après sa visite officielle en mars 2023, Mr. José Francisco Calí-Tzay11Rapporteur spécial des USA sur les droits autochtones ONU12, a déclaré, dans son rapport de mission :
Un grand nombre de mégaprojets dans les territoires autochtones se déroulent sans consultation de bonne foi et en l’absence du consentement libre, préalable et éclairé des Peuples Autochtones concernés, comme dans le cas du pipeline Trans Mountain13https://www.ohchr.org/sites/default/files/documents/issues/indigenouspeoples/sr/statements/eom-statement-canada-sr-indigenous-2023-03-10-fr.pdf.
En ce qui concerne le Plan Nord, 50 pourcent du territoire situé au nord du 49ème parallèle sera utilisé à des fins industrielles, ce qui, selon les spécialistes, n’aura pas d’impact sur les 20 pourcent restants, reclassés en « aires protégées »…
Il va de soi que ces pourcentages n’évoquent pas la chaîne d’interconnexion du vivant, d’écosystèmes fragiles et de ce puits de carbone que représente la forêt boréale pour la planète…
Et la faune sauvage dans tout cela ? Les caribous ? Quels caribous14https://fr.wikipedia.org/wiki/R%C3%A9serve_de_biodiversit%C3%A9_des_Caribous-de-Val-d%27Or ? Peut-on encore parler de harde en mentionnant le sursis de sept animaux dans un enclos de Val d’Or après des années de vaines délibérations ?
La question qui doit être posée aujourd’hui, est loin d’être celle du développement économique, mais celle de la protection de ces territoires qui étaient sous la tutelle des familles autochtones et doivent le rester.
L’avenir, quel avenir ?
Alors que le déni de la crise climatique mène bon train sous la houlette de politiciens déconnectés du réel, peut-être faut-il nous libérer de cette vision biaisée de l’anthropomorphisme15comportement visant à attribuer des caractéristiques et valeurs humaines aux animaux, objets qui nous entourent qui durant ces derniers siècles plaçait l’humanité au sommet du Vivant, pour cultiver cette interdépendance naturelle avec toutes les espèces. Comprendre enfin que cette notion est essentielle à notre survie…
Mais pour cela, l’humanité doit apprendre à combattre ses propres démons, et sa hantise de la « différence ».
Car si nous souhaitons survivre à ce siècle, nous ne pouvons plus être ces créatures assoiffées de pouvoir, affirmant leur puissance dans la destruction et l’arrogance d’un progrès technologique
L’humanité, par sa perte croissante d’empathie, est d’ailleurs devenue « l’espèce la plus dangereuse sur terre »16https://www.lesechos.fr/weekend/perso/sebastien-bohler-lhistoire-de-lhomme-est-celle-dune-perte-dempathie-pour-les-autres-formes-de-vie-1848813, comme le suggère le neuroscientifique Sébastien Bohler.