Text & Photos : Ninka North
Le lac Simon – de son nom en dialecte originel, « Cîcîp1« canard » Sagahigancîcîp »2issu de « sagahigan », lac– se trouve au cœur d’une zone forestière dans la vallée de l’Or en Abiti-Temiscamingue.
Le lac, qui mesure quatre-vingt kilomètres de circonférence, est un site de villégiature très apprécié pour ses activités touristiques.
Jeffrey Papatie et moi nous étions donné rendez-vous sur ses berges, et j’ai quelques minutes devant moi pour profiter du panorama. À cette heure matinale, il y règne
une atmosphère magique ; silence ponctué de cris d’oiseaux et de bruissements d’arbres, avec le scintillement du soleil sur les eaux…
Jeffrey est arrivé, accompagné de sa compagne Mikis Gina, et de leur fils Jack. Mikis m’accueille en souriant. Je reconnais les traits des Atikamekws dans son visage, ses yeux un peu bridés, mais surtout cette joie de vivre qui les caractérise. Mikis est native d’Obedjiwan, la réserve située sur la rive nord du réservoir Gouin, en Mauricie.
Les Algonquins, hier et aujourd’hui…
Les Algonquins sont un peuple autochtone issu de la nation des Kichesipirini ou Kichi Sipi Rini (Gens de la Grande Rivière). Jusqu’au XVIIème siècle, leur territoire ancestral se situait sur l’Isle aux allumettes en Outaouais, au nord-ouest de la ville d’Ottawa. Suite à un conflit au sein de la bande de Kitcisakik, le groupe se serait séparé pour rejoindre le lac Simon.
Samuel de Champlain fait leur connaissance lors de sa remontée du fleuve St Laurent en 1603 à Tadoussac6https://fr.wikipedia.org/wiki/Tadoussac. Avant l’arrivée des blancs, les Algonquins pratiquaient le troc entre tribus. Les choses se corsent après le troc de fourrures avec les Français, sous le régime anglais.
C’est le gouvernement d’Alexander Mackenzie qui instaure l’Indian Act – La Loi sur les Indiens –7https://fr.wikipedia.org/wiki/Loi_sur_les_Indiens en 1876, sous le terme péjoratif d’ »Acte des Sauvages ». Cet acte qui définit le statut de l’Indien amène des violations de la personne et des préjugés, parmi lesquels la mention de mineur aux
yeux de la loi, ou ce privilège d’exemption d’impôts en réserve, malgré la misère, la perte du mode de vie ancestral et la délimitation de territoires de chasse et de pêche.
En étant assimilés, les Algonquins perdent un mode de vie traditionnel étroitement lié à la transmission culturelle. Vivant de chasse, pêche, cueillette et troc, il passent à une vie sédentaire régie par les activités des Blancs.
Comme dans les autres nations, les stigmates de la colonisation sont nombreux : traces d’amnésie culturelle8https://www.erudit.org/en/journals/minling/1900-v1-n1-minling01753/1029114ar.pdf générés par l’assimilation forcée, perte identitaire et culturelle associée à des traumas intergénérationnels, problèmes sociaux et pénurie de logements, auxquels s’ajoute la cession de terres par des traités territoriaux abusifs ou le non respect des clauses établies : un phénomène toujours en cours sous la pression d’instances gouvernementales et de sociétés d’extraction minières et forestières…
Répartis sur neuf communautés au Québec, les Algonquins sont, avec les Outaouais et les Obijwés, affiliés aux Anichinabés (Anishinaabeg)9littéralement les « vrais hommes », ou Omàmiwininiwak. Ils parlent couramment l’anglais et le français, mais une minorité d’entre eux parle encore le dialecte initial, appelé Anicinapemiȣin ou Anishinàbemiwin10dialecte de l’obijwé.
L’habitation traditionnelle était jadis confectionnée en écorce de bouleau11wikiwàn ou en bois12mikiwàn. Jadis, le chef, qui était nommé « Okima« , était désigné par le cercle des Anciens. C’était généralement le personnage le plus charismatique du groupe, reconnu pour sa bravoure, sa sagesse ou ses connaissances d’homme-médecine.
Les Algonquins ont un grand respect pour le monde invisible et la création. De nombreux esprits, les « manitòk« , tout comme des animaux-totem13https://fr.wikipedia.org/wiki/Animal-totem sont associés à la cosmogonie de leur communauté respective. Parmi ceux-ci, on retrouve bien sûr l’ours14« Makwa », l’aigle15« Mikizi », le loup16« Mahigan », la grue17« Atcitcak », le huard18« Mang »…
L’harmonie et le respect sont des valeurs-clé de leur spiritualité. On retrouve de nombreuses médecines holistiques telles que des roues de médecine, des cérémonies de guérison et l’humour19https://www.lafabriqueculturelle.tv/capsules/14306/l-humour-en-litterature-autochtone-le-cabaret-du%E2%80%AFtrickster-caustique-et-salutaire utilisé en guise de conjuration au malheur et d’acte militant. Les Atikamekws le pratiquent aussi couramment, comme une médecine de la vie20https://www.proquest.com/openview/e74580d367472cf36ec1a78993a54117/1?pq-origsite=gscholar&cbl=46875. Des coquilles de cauri sont utilisées dans les récits oraux ojibwés de création et la pratique de Midewiwin, laquelle comprend des danses, chants sacrés et quête de visions.
Malgré l’assimilation, la pratique du Midewiwin21https://www.thecanadianencyclopedia.ca/fr/article/midewiwin – société spirituelle fondée par les Algonquins des Grands Lacs supérieurs – qui aurait été créée par le Grand Manitou, se perpétue encore de nos jours.
La hutte de sudation22https://fr.wikipedia.org/wiki/Hutte_%C3%A0_sudation, souvent mentionnée en anglais – « Sweat Lodge » – est encore utilisée à des fins de purification pour honorer le Créateur Gitche Manitou; un rituel supposé avoir perdu de son authenticité23fait imputable à l’amnésie culturelle consécutive à la colonisation.
La réserve Simosigan
Simosagigan est une réserve semblable à la plupart des communautés autochtones du Québec, avec son église plantée au carrefour des rues qui la jalonnent, ses infrastructures modernes telles que l’école primaire Amikobi et l’école secondaire Amik-Wiche, les locaux administratifs du conseil de bande, et ses maisons familiales modestes toujours surpeuplées. Le phénomène est courant, car toutes les nations autochtones du Québec vivent une croissance démographique constante depuis plusieurs décennies.
Les coupures de presse relatent drames et incidents qui jalonnent la vie des réserves les plus isolées. Violence, suicides, consommation d’alcool, drogues, stress post-traumatique d’aînés ayant connu les
pensionnats, sont le lot de ces familles multigénérationnelles habituées à se contenter de peu.
Comme partout dans ces petites communautés, la majorité des familles continue de souffrir de la pauvreté. L’emploi reste rare, malgré les quelques postes fournis par une entreprise de transformation du bois et de construction, et ceux fournis par l’exploitation minière24notamment la mine d’or Canadian Malartic de Val d’Or et le tourisme.
Aujourd’hui, la communauté s’investit dans la gestion forestière durable et agit de manière écoresponsable. Elle a fait récemment valoir ses inquiétudes sur la gestion de son territoire en matière environnementale, et s’engage à faire respecter ses propres limites en la matière25https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1876556/orignal-foret-mine-autochtones-algonquins.
Le cadeau pour les générations à venir…
Les Algonquins occupent un territoire situé à l’Est de l’Ontario et au Sud du Québec. Jusqu’à ce jour, ils n’avaient jamais signé de traité, mais les Algonquins de l’Ontario ont engagé un processus de négociations en 2016 avec le gouvernement28https://www.ontario.ca/fr/page/revendication-territoriale-des-algonquins…
Ces questions prennent tout leur sens au moment où les claims poussent comme des champignons dans la région; un évènement touchant également le sud du Québec29https://www.lapresse.ca/actualites/environnement/2023-01-25/hausse-du-nombre-de-claims-miniers/une-nouvelle-coalition-demande-un-moratoire.php…
« Lorsque vient le temps des ‘consultations’, les décisions d’accorder les permis d’exploitation sont déjà prises« , écrit Lucien Wabanonik30https://www.cerp.gouv.qc.ca/fileadmin/Fichiers clients/Documents deposes a la Commission/P-179 M-004.pdf, membre du Conseil de bande, dans son
mémoire sur l’état des relations entre le conseil de Lac Simon et le gouvernement du Québec. Mais il faut savoir que ces consultations, que ce soit pour l’exploitation minière ou forestière, n’ont pas d’autre issue que des ententes avec les nations autochtones; ce qui leur donne très peur de marge décisionnelle…
L’avenir de la région ? Des tonnes de résidus miniers et de stériles…
Pas lieu de s’inquiéter ?
Au contraire, parce que le pouvoir des mines est très conséquent si l’on se réfère à l’article 24631https://www.legisquebec.gouv.qc.ca/fr/document/lc/A-19.1/20220823#se:246 de la Loi sur l’aménagement et l’urbanisme stipulant :
“Aucune disposition de la présente loi, d’un plan métropolitain, d’un schéma, d’un règlement ou d’une résolution de contrôle intérimaire ou d’un règlement de zonage, de lotissement ou de construction ne peut avoir pour effet d’empêcher la désignation sur carte d’un claim, l’exploration, la recherche, la mise en valeur ou l’exploitation de substances minérales faits conformément à la Loi sur les mines, ainsi que le stockage de gaz fait conformément à la Loi sur le stockage de gaz naturel et sur les conduites de gaz naturel et de pétrole.».
En 2023, comme partout au Québec, le Ministère des ressources naturelles et des forêts promet « un Développement harmonieux de l’activité minière »32https://www.apls.ca/page/2 et de nombreuses consultations afin d’entendre la population sur la législation de « claims », mais non sur l’avancée du rouleau compresseur minier…
L’entreprise ontarienne Minière 03 souhaite exploiter une nouvelle mine d’or à ciel ouvert au cœur du camp minier aurifère de Malartic sur une période de 10 ans, à 15 kilomètres au nord-ouest de Val-d’Or33https://www.ledevoir.com/environnement/776824/abitibi-un-projet-de-mine-d-or-dans-une-region-ou-vivent-des-especes-en-perilhttps://www.noovo.info/nouvelle/miniere-o3-promet-la-transparence.html; une région truffée de mines, déjà pointée pour la fragilité de sa faune et de sa flore par les environnementalistes. Val d’Or n’est qu’à trente-huit kilomètres du Lac Simon, sur un territoire précisons le, Algonquin-Anishinaabeg…
Six fosses vont y voir le jour pour l’extraction intensive de milliers de tonnes de minerais chaque jour; avec en perspective, des tonnes de résidus miniers et de stériles miniers (déchets d’excavation, boues constituées de poussière eau et roche). L’entreprise prévoit de forer 24 800 mètres en 2023.
Cette fois aussi, comme il est d’usage, une évaluation environnementale et des tables de consultation se succéderont. Mais comme on le sait, l’écologie est une question d’ordre secondaire, sans enjeux économiques. Le tourisme quant à lui, saura utiliser les futurs parcs nationaux, réduits mais payants, et la promesse de chasses pour amateurs de trophées d’une faune en voie d’extermination.