Text & Photos : Ninka North
Ozawaconia Odena, la vallée de l’or
En prenant la route transcanadienne, la 117, à partir de Montréal, on traverse Mont Tremblant puis Mont Laurier avant de filer vers le nord ; une escapade de six heures pour atteindre la réserve du lac Simon. Prendre la route en cette saison, est toujours une expérience agréable. Le temps est au beau fixe, les couleurs de l’automne dansent sur la rétine dans des gerbes de feu et de fauve.
La route se déploie comme un long serpent à travers des paysages forestiers qui s’étendent à perte de vue de chaque côté. Les heures passent, vision hypnotique scandée par le bruit sourd du vent s’engouffrant par les vitres. Nous atteignons enfin la réserve faunique La Vérendrye. Coupée au couteau, la voie traverse les forêts d’épinettes, de bouleaux, et ses fourrés truffés de bleuets sauvages comme une ligne verticale. Mais derrière les rangées de conifères de la forêt boréale, se cachent les mines à ciel ouvert et la dévastation qui les entoure.
C’est au cœur de cette réserve faunique, au sud-est de Val d’Or, qu’on trouve la communauté la plus démunie, sans eau ni électricité, Kitcisakik1littéralement «grand» et «embouchure» située en bordure du lac Victoria. Ce petit village de quatre cent personnes – communauté Anicinape sans statut de réserve – est encore assujetti au bois de chauffage et ne dispose que d’un bloc sanitaire, l’eau potable étant desservie à la station de pompage. Mais les choses bougent depuis 2022 grâce au développement stratégique des minières : Eldorado Gold Québec étant prête à conclure une entente avec cette communauté et celle du lac Simon2https://tvaabitibi.ca/2022/11/15/engagement-dentente-entre-eldorado-gold-quebec-lac-simon-et-kitcisakik/. En mai 2023, le ministre des Relations Couronne-Autochtones, Marc Miller, a rencontré le chef Penosway3https://www.ledevoir.com/societe/791813/une-entente-cadre-est-signee-entre-kitcisakik-et-ottawa pour parler des enjeux futurs… Mais si l’électrification devrait être effective en 2025, l’accès à l’eau est toujours problématique.
Territoire des minières, la légende « d’énergie verte durable »…
Le soleil se couchait lorsque nous avons atteint le lac Simon. Trop tard pour faire le tour de la réserve…
Nous avons filé sur Val d’Or, où javais réservé une chambre d’hôtel. Ce site dont le nom évoquait la quête légendaire des prospecteurs du début du siècle était fidèle à la réalité. La route passe à proximité d’une mine à ciel ouvert à l’entrée de la ville. La ville a été conçue d’un trait comme le sont les cités minières, flanquée d’une longue avenue principale, la troisième avenue, bordée de chaque côté de commerces, de restaurants et de chaînes d’hôtels à proximité desquels on croise quelques itinérants autochtones455% des itinérants sont issus des communautés autochtones du fait de la surpopulation dans les réserves, et fuient la violence et la consommation ; atmosphère typique des villes minières d’Abitibi-Témiscamingue, une région de l’ouest du Québec.
Réputée pour ses sous-sols roches en minerais – or, argent, cuivre, plomb et zinc – Val d’Or a vu le jour dans les années 1930 et compte plus de 5 % d’autochtones résidents permanents. Beaucoup de guides, prospecteurs et foreurs Algonquins sont d’ailleurs liés à l’histoire d’« Ozawaconia Odena », la « Vallée de l’or », telle qu’elle était initialement dénommée.
C’est d’ailleurs Gabriel Commanda, un trappeur algonquin qui suscita « la ruée vers l’or » dans le nord du Québec. En 1920, il indiqua à Robert C. Clark, un prospecteur américain, l’emplacement des filons d’or de Lamaque, la mine qui
propulsa l’expansion du nord du Québec, et la
privatisation de son territoire de chasse…
Val d’Or est couvert de mines d’or actives et de projets d’expansion, parmi lesquels Goldex à la sortie ouest de la ville, Kiena au milieu du lac de Montigny au nord-ouest, Eldorado Gold à l’est, Canadian Malartic à trente kilomètres de là et Akasaba Ouest dans la zone du Lac Ben, à l’Est.
Selon la « Coalition Québec meilleure mine », les claims ont grimpé, progressant de 37,2 % en deux ans sur le territoire de l’Abitibi-Témiscamingue.
Le « claim », c’est un titre accordant le droit exclusif de recherche de substances minérales, autrement dit d’exploration minière acquis pour moins de cent dollars ; ces travaux incluent des travaux de déboisement, forage, décapage des morts-terrains…
En 2023, on comptait plus de 302 000 claims actifs au Québec, un chiffre qui avait bondi démesurément en deux ans; des claims qui pouvaient même jaillir au milieu de zones touristiques. Cette réalité qui donne le frisson en cette période de vulnérabilité de la planète, n’est pas un fait cantonné à cette région car elle touche tout le Québec, menaçant les lacs et les écosystèmes.
Sur le chemin du retour, nous nous sommes arrêtés dans la forêt. Petite escale qui m’a faite saisir l’infinie variété des plantes de la forêt boréale derrière mon objectif, et l’abondance de bleuets sauvages en cette saison.
Cette forêt est essentielle pour l’hémisphère nord, car elle absorbe des quantités massives de carbone et produisent de l’oxygène. Elle est essentiellement peuplée de résineux et d’arbustes, parmi lesquels épinettes noires, pins gris, érables à sucre, saules et peupliers faux-tremble. On y trouve des tourbières boisées et des marais, sols en décomposition où se développent sphaigne et mousses,
flanqués de mélèzes Laricin qui perdent leurs aiguilles durant l’automne, pessières à cladonie dont se nourrissent les caribous. Des lichens, champignons et micro-algues tapissent le sol et le bois en décomposition.
Des empreintes de pas étaient bien visibles sur le sol sablonneux, attestant la présence de petit gibier, mammifères et rongeurs dans les parages. Des ours noirs fréquentent la région; l’un d’eux avait d’ailleurs été signalé aux alentours du lac Simon en 2021.