Texte & Photos : Ninka North

« Celui qui rêve en couleurs »…

Denis Wolfsong ne vit pas dans la communauté mohawk de «Kanehsatake»1Prononcer « Ganesatage » ni le village d’Oka, mais sur les berges boisées de la rivière des Outaouais, un site non desservi par l’eau de la municipalité, régulièrement inondé au printemps.

Métis algonquin par sa mère, il a aussi des racines mi’kmaq par son père.
– Avec des origines écossaises, précise-t-il.
Il fait partie de ces nombreux québécois qui, à un moment

ou un autre de leur existence, ont senti le besoin de retrouver leurs racines et d’amorcer cette quête identitaire pour vivre en harmonie.

Même si les métis ne sont pas officiellement reconnus au Québec, pour lui, l’aventure a vite pris la forme d’un engagement quotidien dans sa communauté.

«Il y a eu le déclic», explique-t-il, «ce moment où tout bascule»…

C’est à la suite d’un grave accident de travail alors qu’il était électricien, qu’il débute un long cheminement personnel.

– C’était en 96. Cela a généré une prise de conscience, raconte-t-il avec gravité.

Ce moment fort qu’il décrit comme un processus de guérison, l’incite à reprendre contact avec ses racines autochtones et suivre une tradition plus adaptée à ses aspirations.

Musicien, il joue de la flûte et chante avec son tambour au milieu des siens, poursuivant cette aventure avec la tradition en participant à des pow wows familiaux.

Il se souvient encore du premier feu qu’il a allumé à Odanak.
– Il n’y avait aucune connotation spirituelle, c’était un simple feu mais on l’a veillé jusqu’au lendemain, dit-il alors que Maya, sa chienne Malamute, vient se poster tranquillement devant lui.
– L’année suivante, raconte-t-il, il y a eu cette rencontre avec un «elder».

– John Running Deer’s, un abénaquis du Massachussets, précise-t-il entre deux silences.
– C’est lui qui a dirigé les cérémonies. Il insistait sur le partage, et l’authenticité, des gestes simples. Il faisait participer les autres, il était ouvert parce qu’aux USA, ça l’est moins…

Tandis que je l’écoute, Maya se lève et traverse la terrasse à toute vitesse, posant ses pattes avant sur les rambardes du patio.

– Le lendemain, se souvient-il, il y a eu une cérémonie des noms amérindiens2Rituel durant lequel un nom traditionnel avec une symbolique ou un trait de personnalité bien précis, est attribué, raconte-t-il.
– Lorsqu’il est décédé, c’est son neveu, Ackai qui a pris la relève à Odanak. C’est d’ailleurs lui qui a baptisé ma petite-fille, Lily Rose..

À cette évocation, le coin de ses yeux se plisse et ses lèvres esquissent ce sourire confiant en l’avenir, me faisant comprendre que le sens de la vie est là, dans cette transmission héréditaire des principes qu’il a acquis par l’expérience.


L’un de ces êtres avec lesquels les mots étaient superflus…

Denis ne fait pas de grands discours; c’est toujours une succession de silences et de phrases courtes brillant par leur intensité, cultivant ce langage émotionnel qui lui est propre et qui vient à bout de tous les conflits. Et lorsqu’il prend sa flûte ou manie la tambour, la magie opère…

– Être métis ne change rien à mon engagement personnel, ni à mon implication dans les pow wows. L’authenticité s’inscrit au cœur de cette démarche spirituelle, malgré son caractère social et festif, précise-t-il.

Comme la majorité des danseurs, il profite de l’hiver pour modifier son régalia3vêtement de cérémonie ou en créer un autre avec de nouveaux motifs de perlage suivant son inspiration personnelle.

Il a adopté le Loup comme animal de son clan, symbole du messager, l’associant à son costume de

danseur et aux parures ornées de perles, de plumes et d’os qu’il confectionne chez lui avec beaucoup de rigueur en respectant les couleurs originelles et le façonnage d’époque. On y retrouve des teintes initialement moins vives que celles des costumes actuels, beaucoup plus naturelles.

– L’ocre rouge est liée à la force vitale, dit-il.

C’est un symbole puissant chez les autochtones.
Connu des chasseurs-cueilleurs dès le Paléolithique, son utilisation se retrouvait autant dans l’art rupestre4lac Wapizagongue, au Parc de la Mauricie, que sépultures et lieux de sacrifice. Répulsif naturel pour les moustiques, ce pigment était utilisé lors des pow wows, la chasse ou la guerre pour ses vertus de protection. Au Québec, on l’extrayait de la Rivière Rouge, dans les Laurentides.

J’ai souvent rendu visite à Denis avant que ne survienne la pandémie de Covid, mais j’ignorais alors que c’était la dernière fois que nous allions nous croiser.

Ce sont les dernières prises de vue que nous avons réalisées ensemble durant l’été; l’un de ces bouleversants moments de partage et de complicité, avant qu’il nous quitte brusquement au cœur de l’hiver.

Beaucoup se rappelleront du tipi qui embaumait la résine avec son tapis de feuilles de sapin, des sons du tambour et des rires partagés au coin du feu.

Et du bouclier de guerrier qu’il avait confectionné et peint, orné d’un aigle, cet animal totem vénéré par tous les autochtones…