Text & Photos : Ninka North

L’image d’un passé colonial

Lorsque je suis venue voir la forêt boréale et que j’ai vu son état de délabrement, je me suis demandé ce qu’étaient devenus les « Garden’s keepers », ces mythiques chasseurs nomades qui traquaient jadis les hordes de caribous au milieu des terres sauvages du Nord.

L’image d’un passé colonial, hélas, surgit des pages écornées de l’histoire, pareille aux clichés hollywoodiens des westerns de propagande. La dynamique de la colonisation tient en trois mots : conquête-assimilation-exploitation.

Ce processus a fini par ruiner la planète en l’espace de quelques siècles, par le biais d’un système basé sur l’enrichissement d’une élite, avec l’appui inconditionnel d’une « Sainte Croix » blanchissant les ténèbres qu’elles amenait avec elle… Un de mes amis atikamekw m’a dit un jour, qu’avant l’arrivée des robes noires, ils ne connaissaient pas le terme « péché ».

Ils suivaient les enseignements spirituels et ceux-ci étaient inscrits dans le livre de la vie, dans cette forêt qui leur apprenait les mots vivants, les mots « animés »…

Avec l’assimilation, le changement de paradigme a ruiné les valeurs traditionnelles, impliquant des perspectives d’exploitation contraires à leurs croyances parmi lesquelles l’inviolabilité de la Terre, et des éléments naturels tels que l’eau et l’air, principes faisant corps avec leur identité.

Un combat entre progressistes et traditionalistes au coeur des communautés

Les traditionalistes représentent une minorité à l’heure actuelle. Mais valoriser la culture et la tradition, n’est pas aussi évident pour les jeunes autochtones qui vivent la précarité d’emploi des réserves.

Les nouvelles technologies s’invitent dans les maisons familiales, délaissant la nature et remettant en cause le mode de vie ancestral. Et si le « bien-être social » donne à peine de quoi subsister, l’essentiel des activités se regroupe autour du déboisement et des structures administratives – tout juste quelques centaines de postes, voire moins – car dans ces régions, il n’existe aucun autre secteur de développement hormis les compagnies forestières et les exploitations minières implantées à proximité.

Un combat entre progressistes et traditionalistes fait actuellement débat dans les réserves; conflit comparable à ceux qui agitent les milieux politiques de la sphère internationale. Car que nous le voulions ou non, nous sommes entrés dans l’ère de l’Anthropocène1temps où les activités de l’homme modifient la géologie et les écosystèmes, où développement est synonyme de menace environnementale et d’extinction d’espèces.

Parler d’écologie et de problèmes environnementaux auprès de peuples qu’on a déshérités durant plusieurs siècles et dont le secteur d’activités a été mis en place par le système colonial, c’est mettre de l’huile sur le feu… Car aujourd’hui encore, la réalité de ces familles entassées dans des maisons insalubres, marquées de traumas intergénérationnels et d’amnésie culturelle2voir la thèse de l’antropologue Pierrot Ross Tremblay https://www.erudit.org/fr/revues/as/2020-v44-n3-as06115/1078189ar est difficile.

L’assimilation est un fait avéré. Elle se poursuit aujourd’hui d’une façon plus subtile, car elle n’est plus subie mais acceptée comme une évolution nécessaire admise par les nouvelles générations et les décideurs autochtones qui ont eu accès aux études supérieures.

Mais ces communautés sont aujourd’hui exposées à un terrible dilemme, celui d’être instrumentalisés

pour devenir les principaux acteurs de la destruction de la forêt boréale et d’extractions minières de grande envergure, sans compter les exploitations pétrolières. La déforestation se poursuit à une cadence folle, les coupes à blanc saccagent méthodiquement les territoires et cela sans aucun contrôle; le dernier rapport, le rapport Coulombe3https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/218335/rapport-coulombe a été réalisé en 2004, laissant une marche de manœuvre optimale pour la foresterie…

L’impact de la surexploitation des territoires du nord ne laisse que peu d’espoir pour l’avenir. Outre le passage d’une quantité de pipe-line canadiens qui acheminent des milliers de tonnes de gaz et de pétrole, l’administration du président Joe Biden a approuvé le Projet pétrolier de Willow4https://www.reuters.com/business/energy/biden-administration-approves-willow-oil-project-alaska-2023-03-13/. Par ailleurs, le projet d’oléoduc Keystone que Donald Trump veut relancer entre les États-Unis et le Canada posera également de nouveaux problèmes environnementaux et sanitaires, même si certains chefs autochtones y voient une belle opportunité…

Lorsqu’on connaît les traditions de ces peuples initialement nomades et leurs croyances rattachées à la protection de la nature, on s’interroge sur ce paradoxe; sans omettre de relever le cynisme des organismes qui les sauvent de l’inéluctable chômage sévissant dans les réserves.

Dans cette conjecture, plusieurs de mes interviews auprès de membres de communautés du nord du Québec, sont restées sans réponse, malgré le fait qu’elles soient fortement impliquées dans la tradition, et se disent concernées par la déforestation massive de leur territoire. On peut aujourd’hui s’inquiéter de cette souveraineté autochtone des territoires non cédés, sachant que ce terme met en avant des arrangements économiques qui ne font pas l’unanimité et remettent en question l’avenir des prochaines générations…