Text & Photos : Ninka North
Lorsque Mike Paul et Dany sont partis à la chasse, j’ai rejoint Benoît dans le chalet et nous nous sommes assis derrière la table de la cuisine.
En engageant la conversation, j’ai appris qu’il était né à Maliotenam, «Mani-utenam» en Innu-aimun1Maliotenam ou Mani-utenam en Innu-aimun («ville de Marie», réserve innue dans la municipalité régionale de comté des Sept-Rivières., une réserve créée en 1949 à l’Est de Sept îles, sur la côte septentrionale du Saint-Laurent.
– J’habite aujourd’hui à Alma2https://fr.wikipedia.org/wiki/Alma_(Qu%C3%A9bec), où j’occupe un emploi de concierge, dit-il d’un ton posé.
Alma est une petite ville du Saguenay-Lac-Saint-Jean3https://fr.wikipedia.org/wiki/Saguenay%E2%80%93Lac-Saint-Jean, située à l’est du lac.
Benoît s’est arrêté de parler pour aller remplir la bouilloire et la mettre sur la plaque d’un antique poêle en fonte. Benoît a cette force tranquille des gens qui vivent au contact de la nature. Tous ses gestes sont mesurés, sans précipitation.
Gardien de la culture Innue4dénommée Innu Aitun
Benoît Thisselmagan est avant tout un spécialiste de la tradition innue, un «gardien du savoir» comme il le dit lui-même. Il fabrique des tambours traditionnels sacrés, dont les vibrations inspirent le respect à toutes les nations autochtones5https://fr.wikipedia.org/wiki/Tambour_autochtone.
En Innu, on appelle «Katutuat Teueikanat», celui qui fabrique des tambours6On dit aussi « kateueikanitshesht » pour désigner un fabricant de tambour. Le teueikan, ce tambour particulier qu’on dit investi d’un pouvoir spirituel est fabriqué en peau de caribou, tendue sur un cadre en bouleau7On dit « Shitashkunakanu teueikan ».
Sa résonance si particulière vient d’os de fœtus de caribou accrochés à une corde au milieu de la peau; des petits os, que Benoît a substitués par des queues de plumes de canard. Le cadre du teueikan est généralement peint d’une bande rouge, la couleur de la vie et de la chasse.
– Une couleur sacrée, car elle met en contact avec l’allié du monde des rêves, me dit-il.
Jadis toutes les familles se réunissaient durant l’été. À l’approche de l’hiver, elles partaient, scindées en petits clans sur leur territoire de chasse. C’est durant cette saison, que le tambour prenait toute son importance…
– Comment s’est-il imposé dans ta vie ? Demandai-je soudain,
– Le teueikan est essentiel pour nous. Il constitue le lien indissociable entre l’esprit du caribou et notre peuple. Il assure notre survie depuis trois millénaires ! Lance Benoît en s’approchant du poêle où mijote une bouilloire.
– C’est en regardant une émission à la télé que j’ai appris à en faire. Il y a six ans…
Je pensai tristement à l’ironie du «culte du cargo», dans le sens où un média contemporain restituait à un Premier Peuple8https://fr.wikipedia.org/wiki/Premi%C3%A8res_Nations, l’une de ses techniques millénaires préalablement interdites et confisquées…
– J’aime le tambour, dit-il avec enthousiasme, j’ai toujours été fasciné par le son qu’il produit, puis j’ai eu des enseignements.
Il laisse passer un temps,
– Par respect, je n’en joue pas. Le tambour est sacré… Ce sont les aînés qui ont le droit d’en jouer, reprend-il avant de préciser,
– Dans le temps passé, il fallait qu’un aîné en rêve, pour avoir le droit d’en jouer9voir paragraphe « Les rêves et la transmission du pouvoir de jouer »https://www.cairn.info/revue-histoire-monde-et-cultures-religieuses-2013-3-page-19.htm. Aujourd’hui, les drummers n’ont pas ces connaissances, sinon ils n’en joueraient pas de cette façon. Ils font des compétitions de chant, ce qui ne fait pas partie de nos traditions.
Benoît approche le bec de la bouilloire fumante de sa tasse et se sert de l’eau. Tout en remuant les granules de café soluble avec sa cuillère, Il me raconte avoir été placé dans une famille d’accueil québécoise à l’âge de quatre ans, à la mort de son père.
– J’y suis resté jusqu’à dix-neuf ans. Comme beaucoup d’autochtones, j’ai vécu le racisme systémique10https://fr.wikipedia.org/wiki/Racisme_syst%C3%A9mique à l’école. Il n’y avait pas de violence, mais je n’avais pas de véritables amis. On ne me parlait pas. J’ai ressenti un sentiment d’exclusion au milieu des autres enfants durant toute ma scolarité, avoue-t-il gravement, en portant la tasse à ses lèvres.
Après un silence, il reprend,
– Beaucoup d’aînés ont été séparés de leurs familles lorsqu’ils étaient encore des enfants. Ils étaient placés dans les pensionnats, de la maternelle jusqu’à la majorité…
J’écoute son témoignage sans l’interrompre, ses mots lourds de sens brisant le silence comme un écueil.
La scission des familles a entraîné une perte de valeurs et l’individualisme.
Aujourd’hui, au cœur des réserves, dans un tissu social gangrené par l’histoire et les problèmes sociaux, les jeunes deviennent parents à seize, dix-sept ans. Et Mashteuiatsh n’échappe pas à la règle…
– Je vis à Alma, parce que je ne veux pas vivre dans la réserve pour ne pas retomber dans la drogue, déclare-t-il avec fermeté, une dépendance qu’il a connue étant jeune.
Benoît reste de marbre. Rien n’arrivera à les déstabiliser, lui comme la majorité des autochtones ont cette fierté,
assumant ces siècles de colonisation avec l’endurance de leurs aïeuls, cette énergie particulière des chasseurs nomades capables de traquer une proie sur de longues distances…
– La drogue circule sur la réserve, des amphétamines amenées par des gangs de rue qui viennent de l’extérieur.
Selon lui, la majorité des gens de la réserve ont des problèmes de dépendance, jeunes ou âgés. Benoît connaît bien le processus, une plaie issue de la colonisation, intergénérationnelle. La plupart des aînés qui ont fréquenté les pensionnats en sont sortis brisés, et sont tombés dans la consommation d’alcool ou de drogues. D’évidence, les conséquences sur la santé mentale et physique sont énormes, autant sur le plan personnel que familial ; stress post-traumatique, violence, psychoses. Ces drames qui se passent derrière les rideaux tirés des maisons, font malheureusement partie du quotidien de la vie en réserve.
Un silence passe.
Je ressens la solitude de ces lieux d’exil contaminés par le mal-être et les poisons de la vie moderne. J’avale ma tasse de thé sans quitter des yeux la fenêtre derrière laquelle s’infiltrent les rayons du soleil. Je reste silencieuse, songeant au cynisme avec lequel le déplacement et la sédentarisation forcée de peuples nomades s’est opérée sur des sites ne représentant qu’un pourcentage réduit de leurs terres ancestrales11https://fr.wikipedia.org/wiki/Terres_ancestrales; une «peau de chagrin» noyée de larmes…
« La tradition a été préservée oralement »
– Est-ce que tu as gardé la spiritualité de tes aïeuls ?
– J’ai été éduqué avec des valeurs chrétiennes, mais je suis revenu vers les croyances animistes vers vingt et un ans.
Il laisse passer un silence,
– Ceux qui pratiquent la spiritualité autochtone sont minoritaires. Ils sont peu nombreux chez les aînés, ajoute-t-il, mais il y a un regain d’intérêt pour la tradition chez les plus jeunes. Cela représente une guérison…
C’est cette pointe d’espoir qui le motive à promouvoir et partager les connaissances ancestrales, une dynamique qu’il prend très au sérieux.
– J’essaie de partager ce que les aînés m’ont montré pour assurer la transmission. Pour que ces connaissances ne se perdent pas. C’est mon père, mon frère et les aînés de la communauté qui m’ont transmis la tradition…
– Il faut qu’elles se perpétuent, reprend-t-il.
Chez les autochtones, ça a toujours été ainsi. il y a toujours eu continuité, passage intemporel de ce principe identitaire
et sacré qui suit la destinée des peuples en dépit des pouvoirs dominants.
– Les pertes culturelles sont grandes, mais la tradition a été préservée oralement, les aînés l’ont transmise à l’Ouest pour échapper aux missionnaires. En revanche, notre langue se perd, les jeunes ne la parlent plus.
Je m’approche de la fenêtre. Les brumes se sont dissipées sur le lac, le soleil brille de tout son éclat.
Nous sortons du chalet. Benoît m’entraîne sous un arbre pour me montrer les outils qu’il a fabriqués pour travailler les peaux.
– Qui t’a enseigné la pratique et le façonnage des os?
– C’est Gordon Moar, un aîné de Mashteuiatsh qui m’a appris à le faire. C’est un chasseur et trappeur qui a connu la vie nomade, ajoute-t-il.
– Est-ce lui qui t’a appris les procédés du tannage ?
Benoît acquiesce du regard et me fait signe de le suivre. Nous faisons quelques mètres, piétinant sans le vouloir la myriade de champignons qui poussent aux alentours du chalet. D’un sac de toile où dépassent des pattes d’orignal, Benoît sort une peau et l’étend sur un tronc d’arbre.
Avec un os effilé, il commence le processus en grattant le poil et la couche superficielle d’un geste sûr. Cela demande une certaine dextérité et de la force pour exécuter ce geste répétitif.
Je le vois suer sous l’effort.
– Ils sont en os d’orignal ou de caribou, dit-il en les désignant.
Cette pratique millénaire de réaliser des lissoirs dans des
côtes de cervidés était déjà familière aux chasseurs-cueilleurs de Neandertal12https://www.nbcnews.com/sciencemain/neanderthals-polished-hides-tools-made-deer-ribs-6c10900427.
Après des heures de grattage, Benoît fait une pause, avant de se remettre au travail. Cette fois, il s’attaque à la couche interne de la peau, mettant à jour des filets de chair et de graisse blanchâtre à l’aide d’un fémur d’orignal fendu en deux sur la longueur.
Il fait chaud. Je vois son visage inondé de sueur sous l’effort et sens l’odeur un peu rance de la graisse qui glisse au sol. Des mouches tournent autour de nous. Nous sommes dans la réalité, la vraie réalité où les choses et les lieux ont des odeurs, où la répulsion côtoie la beauté sauvage du monde.
«J’aime beaucoup montrer le savoir ancestral de notre peuple afin que nos pratiques «innu aitun» (activités traditionnelles) ne soient pas perdues. Je suis un des gardiens de notre savoir-faire millénaire, passeur des pratiques ancestrales aux générations à venir.»
Le premier en haut est un os de la patte arrière de l’original, qu’on utilise pour gratter la chair de la peau, enlever les résidus de viande et de graisse», m’apprend Benoît.
Le deuxième sert a gratter le poil de l’original à la façon d’un rasoir. Le troisième est une côte d’original aiguisée pour qu’il soit coupant afin de gratter le poil et mettre la peau à nu. Quant au quatrième, il sert a gratter la peau du castor pour dénuder la carcasse du castor.
Benoît tourne la tête et me lance,
– Après ça, on va immerger la peau dans une eau savonneuse puis la faire sécher et la tendre sur un cadre. Dans le processus, on va aussi utiliser une bouillie de cervelle pour ramollir la peau sur sa face interne et l’étirer pour briser la fibre.
Je regarde le ciel d’azur sans l’ombre d’un nuage, des rayons de soleil tombent sur les crânes d’orignaux et celui d’un ours suspendus au tronc d’un arbre.
– Comment définiriez-vous votre relation aux animaux ?
– Il y a une communication qui s’établit entre les animaux et les chasseurs. Dans nos traditions, pour la chasse au loup par exemple, le chasseur demande à l’esprit du loup la permission de le tuer. Si cela survient, c’est que l’esprit du loup l’a accepté, dit-il en souriant.
– C’est pareil pour les autres animaux, reprend-il. Il y a ce contact là, ce respect. D’ailleurs, après la chasse, nous
honorons leur esprit en attachant leur crâne sur l’arbre de respect, dit-il en me désignant le grand pin derrière nous.
Comme dans toutes les sociétés ancestrales, l’arbre est un élément majeur sur lequel se fondent de nombreuses croyances. Chez les Bouriates13https://fr.wikipedia.org/wiki/Bouriates de Sibérie par exemple, on accroche encore des morceaux de tissu sur un arbre symbolisant des prières, le «barisaa»14https://fr.wikipedia.org/wiki/Arbre_%C3%A0_pri%C3%A8res.
– Est-ce qu’il y a encore des hommes-médecine, des chamans15https://fr.wikipedia.org/wiki/Chaman ?
– Il y a toujours eu des hommes-médecine, des aînés qui ont gardé les anciennes connaissances, même durant la colonisation.
– J’ai cru comprendre que le terme chaman avait aujourd’hui une connotation négative… lançais-je.
– Nous autres, on ne parle pas de chamans, ça c’est un terme issu de la culture des westerns, dans nos régions, on parle de «guide spirituel»…
En Amérique du nord, on pratique le «healing», la guérison holistique et spirituelle… On ne parle pas de chamanisme. Contrairement au battage médiatique, ce terme échappe à la majorité des autochtones côtoyés durant mon reportage, et relève d’une mythologie purement occidentale. En me penchant sur la question, j’ai découvert que cet état d’esprit dérivait des préjugés de la colonisation.
En 1880, la Loi sur les Indiens interdit les cérémonies de guérison traditionnelle, et il faut attendre 1950 pour qu’elles soient de nouveau remises à l’honneur.
Le néo-chamanisme et le New-Age se sont appropriés un grand nombre de rituels de guérison autochtones, comme la purification par la fumée de la sauge, la tente de sudation communément appelée «sweet lodge» ou les techniques de rêve. Cette perspective a poussé les détenteurs de la tradition à utiliser le terme de «guérisseur» plutôt que celui de «chaman», évitant ainsi la connotation reliée au spiritisme et à la sorcellerie…
En marchant autour du chalet, je tombe nez à nez avec la tête d’orignal que Benoît a dépecée; l’animal que Mike et Dany Paul ont traqué quelques jours auparavant.
– Jadis, lorsqu’on tuait un orignal, on faisait un gros banquet et tout l’animal était mangé en intégralité. On mangeait une viande «animée», pleine de vie alors qu’aujourd’hui, la viande qui est consommée est sans esprit, «inanimée»…
Cette notion de principe vital est au cœur des croyances du peuple Innu, qui, je le rappelle, ne tue pas pour le plaisir mais pour sa subsistance, et réside dans des terres éloignées des grands centres de distribution urbains. Les Innus attachent une grande importance à cet aspect des choses car il est lié à leur conception du monde qui est spirituelle. Dans les cultures animistes, on s’imprègne de l’esprit de l’animal, de son énergie en le consommant, et cette notion de respect rattachée aux esprits est essentielle.
«Nitassinan», notre territoire, le territoire de nos ancêtres…
Dans le fil de la conversation, j’apprends que Benoît est un militant engagé dans la protection de son territoire.
Lorsqu’on prononce ce mot, le sourire se tend et l’expression s’assombrit. On ne plaisante pas avec les questions territoriales ! Cette notion est propre à tous les autochtones parce qu’elle est liée a leur identité. Les natifs et leurs terres sont indissociables. C’est un héritage sacré.
– Le «territoire», qu’est-ce que cela représente pour toi ?
– Le territoire, c’est Nitassinan, notre territoire, le
territoire de nos ancêtres. Sans eux et leurs connaissances, nous n’aurions pas survécu…
Les autochtones parlent souvent du « bois », de cette forêt à laquelle ils sont connectés depuis l’enfance, celle qui a vu grandir les ancêtres et où l’on a reçu leurs enseignements. D’ailleurs, dans ces terres du Nord, bien des familles sont encore attachées à un arbre spécifique, au pied duquel le placenta d’une jeune mère est enterré ; un rituel16On retrouve ce rituel chez les Atikamekw Nehirowisiwok nommé «retour à la terre du placenta, otepihawson en langue atikamekw» : https://www.erudit.org/fr/revues/raq/2008-v38-n2-3-raq3864 accompli après l’accouchement.
« Un activiste environnemental… »
– Est-ce que tu te définis comme un militant environnementaliste ?
Benoît hoche la tête.
– Oui, je suis un militant environnementaliste. Je m’oppose aux agissements du conseil de bande qui intervient de façon abusive sur notre territoire et prend des décisions sans consulter l’ensemble de la communauté, dit-il avant de saisir son portable.
Il me montre une vidéo ou je le vois menotté à une cabine de téléphérique au sommet de la chute Ouiatchouan, au village de Val-Jalbert. Lui et quatre autres militants font partie du «Front de libération de la Ouiatchouan»17https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/697884/quatre-accuses-plaident-coupables opposé à la construction d’une minicentrale hydroélectrique de seize mégawatts, un projet de la Société de l’énergie communautaire du Lac-Saint-Jean. L’infraction lui a valu d’avoir une couverture médiatique, et payer une amende au sortir du tribunal en mars dernier, mais il ne démord pas.
– Le problème vient des élus autochtones, chefs élus démocratiquement suivant le modèle colonial…
Les conseils de bande désignés suivent les directives des pouvoirs gouvernants, non le modèle de gouvernance ancestrale, précise-t-il. Et comme dans toute structure du pouvoir, on retrouve les excès habituels tels que bénéfices et avantages accordés aux cercle familial, amis et sympathisants.
– C’est un système fort éloigné du modèle initial du cercle, déplore Benoît, lequel représente un symbole
d’unité spirituelle des communautés.
Quelques minutes plus tard, il me raconte avoir participé à un barrage routier dressé dans un chemin forestier pour protester contre la déforestation18https://fr.wikipedia.org/wiki/D%C3%A9forestation au lac St Jean, dans le nord.
– Il y a eu un moratoire au sujet de la déforestation à la rivière Péribonka19https://fr.wikipedia.org/wiki/Rivi%C3%A8re_P%C3%A9ribonka, reprend-t-il.
Ce dernier a été approuvé en septembre20https://www.lapresse.ca/actualites/environnement/2021-09-14/projet-d-aire-protegee-de-la-riviere-peribonka/quebec-annule-les-coupes-forestieres.php.
C’est une belle victoire car depuis des années, les moratoires demandés par les nations autochtones se succèdent à un rythme effréné.
Et bon nombre d’entre eux sont ouvertement rejetés, malgré les enjeux écologiques et environnementaux directement impliqués.
– Que signifie réellement le terme «souveraineté» qui est mis en avant par les nations et leurs conseils de bande ? Demandai-je.
– Usurpation de la souveraineté autochtone, répond-t-il catégoriquement.
Benoît me regarde sans ciller. Puis à la minute suivante, il me lance,
– Le terme «autonomie gouvernementale» n’a aucun rapport avec la réalité des choses. C’est une affaire qui a été amenée par les Blancs. Çà n’entre pas en considération avec notre vision du Nitassinan.
Je pensai à la lutte des Wet’suwet’en21https://ici.radio-canada.ca/recit-numerique/1675/wetsuweten-coastal-gaslink-gazoduc-conflit-chefs-hereditaires-autochtones-grc contre le pipeline de Coastal GasLink dans le nord de la Colombie Britannique22 https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1842212/wetsuweten-coastal-gaslink-cb-camp-lutte-environnement-pipeline et lui demandai,
– Qui étaient, jadis, les leaders spirituels de votre nation ?
– C’étaient généralement les aînés qui avaient le plus de connaissances.
Leur sélection était générée par l’expérience et le savoir, et devait être approuvée par le cercle – la communauté -.
– Est-ce que tu crois qu’il est possible d’enrayer la déforestation de la forêt boréale ?
– Si les autochtones s’unissent, on va pouvoir la freiner… dit-il avec fermeté.
Je croise furtivement son regard. Je sens plus qu’un espoir dans sa voix, je sens la perspective que tout est encore possible.
– En revanche, il est inutile d’espérer un geste des pouvoirs en place face à l’urgence planétaire. Les conseils de bande ne bougeront pas, murmure-t-il.
Comment pourrait-il en être autrement, alors qu’ils ont un contrat de 400 000 m3 pour couper le bois, en partenariat avec le Ministère des forêts ?
– La réconciliation23https://fr.wikipedia.org/wiki/Journ%C3%A9e_nationale_de_la_v%C3%A9rit%C3%A9_et_de_la_r%C3%A9conciliation a-t-elle eu lieu ?
– Non, pas vraiment. Les promesses n’ont pas été tenues, rien n’a été fait pour arrêter la misère et la pauvreté des Premières Nations. Mais il y a une guérison en cours.
Le processus que Benoît évoque à mi-mots est un phénomène croissant dans chaque nation depuis une dizaine d’années, une dynamique collective pour recouvrer les traditions ancestrales.
– Savoir qui on est, retrouver ses racines fait partie de ce processus de guérison. Retrouver la fierté d’appartenir aux Premiers Peuples…
– Quelles sont les attentes du peuple Innu pour le futur ?
– L’autodétermination.
La culture et l’identité innues ne peuvent être harmonisées avec le modèle capitaliste qui a joué et joue encore un rôle d’extinction et d’assimilation dans de nombreux points du globe, m’expliqua-t-il aux minutes suivantes. Cela représentait un non-sens à leurs yeux.
– La nation Innue est une société capable de s’autodéterminer par elle-même au rythme des saisons, ajouta-t-il avec fermeté.
– Et quel serait ton message pour les générations à venir ? Lui demandai-je en guise d’épilogue.
– Revenir dans les traditions…